Picture by Lisa Helsen

 

Chaque année, le jour de mon anniversaire, ma mère me racontait à différents moments de la journée comment ma naissance s’était passée il y a 15 ans (ou l’âge que je fêtais cette année-là) : “je tondais la pelouse, sans me douter de rien…. ton père se faisait des tartines au beurre de cacahuètes à emporter à l’hôpital… tu es née précisément à cette heure…”.

Plus tard, à l’adolescence, je me suis rendu compte que la maman de mon amoureux faisait la même chose aux anniversaires de ses quatre enfants. Quand à mon tour, j’ai été enceinte, chaque amie, collègue, voisine ou parfaite inconnue à la caisse, me racontait son accouchement en long et en large. Qu’il remonte à six mois ou soixante ans. Chaque femme semblait se souvenir de son accouchement, minute après minute.

A mi-chemin de ma première grossesse, j’avais entendu bien des histoires mais je n’avais aucune idée de mes choix avant et pendant l’accouchement, auxquels je pouvais réfléchir moi-même. L’idée d’accoucher m’enthousiasmait beaucoup et je voulais bien m’y préparer. Pourtant, on me disait souvent : “allez, il finira bien par sortir”. Ce qui est vrai, bien sûr. Pourtant, bien que l’on ne contrôle pas (complètement) le déroulement d’une naissance, je voulais en savoir plus sur les différentes options. 

Avec l’aide de Bart, j’ai réfléchi à ce dont j’avais besoin pour me sentir en confiance. Une amie m’a parlé des sages-femmes indépendantes de La Madrugada. Elles prenaient le temps à chaque consultation de répondre aux questions, pas seulement sur le plan médical mais aussi à toutes les incertitudes qui me hantaient, nos interrogations et nos souhaits pour l’accouchement et les débuts de notre bébé. Nous nous sentions vraiment écoutés et entendus.

“Cela me rassurait tant et plus de savoir que l’une de ces sages-femmes serait avec nous, pour démarrer le travail à la maison, pour nous accompagner à l’hôpital, pour être responsable de l’accouchement et puis pour assurer les soins à domicile après.”

Une personne avec qui partager ces moments si particuliers. J’avais peur de tomber sur une sage-femme qui, en plein milieu de l’accouchement, allait m’annoncer qu’elle avait fini sa garde et que sa collègue allait la remplacer. Ou d’un gynécologue qui ne viendrait qu’en dernière minute. J’avais besoin d’un petit cocon de confiance.

La naissance de notre aîné s’est certes bien passée mais de façon assez chaotique. Je n’aurais même pas osé l’imaginer pour le scénario d’une comédie romantique. Les contractions étaient déjà très intenses avant que nous nous résolvions à appeler la sage-femme (dès fois que ce ne soit pas vraiment ça, n’est-ce pas?). Quant à elle, elle ne retrouvait pas ses clés de voiture, ce qui avait retardé son départ. Bref, quand elle est arrivée chez nous, j’étais déjà à huit centimètres de dilatation. 

S’en est suivi un trajet en voiture agité: les contractions intenses se succédaient à un rythme rapide, nous nous sommes perdus dans le noir, sous une pluie battante, la barrière du parking refusait de s’ouvrir, la sage-femme courant ensuite dans les couloirs avec moi sur une chaise roulante, nous avons atterri dans le mauvais service, en gériatrie de surcroît! Tout cela m’a fait sortir de mon élément. 

Arrivée en salle de naissance, j’ai pu plonger dans un bain, et j’étais déjà à dilatation complète. Je pouvais donc commencer à pousser. Mais impossible. Je ne sentais pas les poussées, je glissais sous l’eau. Avec toute l’agitation, personne n’a pris le temps de voir à l’aise quelles étaient les options et j’ai fini par accoucher sur mon dos dans le lit. C’était une naissance facile, j’en garde un excellent souvenir. Je trouvais juste dommage de ne pas avoir pu accoucher dans le bain. Et puis, plus jamais un tel trajet en voiture!

Pour le suivi de grossesse de notre deuxième fils, les sages-femmes ont pris le temps d’écouter attentivement notre vécu du premier accouchement. Mais aussi les nouvelles incertitudes et inquiétudes. Elles m’ont proposé ainsi des exercices de respiration pour le travail, des positions d’accouchements. Nous avons discuté longuement des différentes possibilités pour espérer accoucher dans l’eau. Sans oublier d’appeler la sage-femme bien à temps pour faire les choses plus calmement. 

Je trouve formidable comment ces sages-femmes, qui vivent des accouchements au quotidien, parviennent à éviter le pilote automatique dans leur suivi. A chaque fois, elles étaient pleinement présentes pour nous. Notre vécu était important pour elles, elles partageaient ce qui en faisait pour nous une expérience unique.

Arrivée à quarante semaines et six jours, lorsque je leur ai fait part de ma peur qu’on provoque l’accouchement, elles m’ont soutenue et rassurée d’une façon incroyable. Nous avons évoqué les moyens pour encourager le début de travail de manière naturelle (j’avais déjà essayé l’acupuncture et le shiatsu dans les jours précédents). La sage-femme s’est enquise de mon souhait précis: est-ce que je voulais accoucher le plus rapidement possible ou surtout éviter l’induction? C’était surtout l’induction qui me faisait peur. Nous avons élaboré ensemble un plan d’approche. Mais c’est surtout son conseil de lâcher prise parce que nous avions le temps qui m’a fait le plus grand bien. Je suis rentrée chez moi beaucoup plus rassurée, j’ai pris un long bain chaud et j’ai fait  une bonne sieste.

“Les contractions ont commencé cette nuit-là, vers minuit…”

Très vite, elles se sont rapprochées aux cinq minutes. Cette fois, nous n’allions pas attendre trop longtemps et vers deux heures du matin, nous avons appelé la sage-femme qui accompagnerait le travail à la maison.

Les contractions qui avaient démarré en force ont commencé à ralentir. La dilatation se faisait beaucoup moins vite que la dernière fois, du coup, je doutais de moi : est-ce que le travail avait vraiment commencé? Un deuxième accouchement va quand même beaucoup plus vite? Est-ce que je n’avais pas appelé trop tôt? La sage-femme allait-elle rester?). En même temps, tout est beaucoup plus paisible, et je m’en sens beaucoup mieux. Cette nuit est très particulière. A nous trois, à la lueur d’une douce lumière dans le salon; je suis tantôt assise sur le ballon, Bart parfois devant moi pour que je m’appuie sur lui, parfois derrière moi pour masser mon dos ou y mettre une bouillotte de noyaux de cerise.

La sage-femme nous guide dans les respirations et les positions pour permettre aux contractions de devenir plus puissantes. Entre deux contractions, nous bavardons. Vers huit heures, Bart prépare un petit déjeuner pour la sage-femme et lui, puis il me presse une orange. Quelle ambiance différente de la fois précédente. 

Vers dix heures, je suis à environ six centimètres de dilatation et nous partons à l’hôpital (quelle différence du trajet pour le premier accouchement), où la salle de naissance spéciale “le salon” est libre. La pièce est aménagée comme une maison, et nous retrouvons un peu l’ambiance de notre living. Il y a aussi un bain de naissance. 

A onze heures, j’entre dans la baignoire. Je repense aux conseils donnés pendant les préparations et cette fois, je trouve la position qui me convient. Je prends les dernières contractions à quatre pattes. Ces moments sont très intenses pour moi, je ressens une envie et une force énormes pour faire naître notre petit garçon: il faut qu’il sorte.

J’ai l’impression de ne plus être de ce monde mais j’entends néanmoins la sage-femme me dire : “pousse maintenant avec douceur et amour”.

Cet encouragement, discret mais essentiel, me permet de passer le cap mental et physique. C’est un moment d’amour, notre petit garçon arrive. Une petite phrase qui prend une telle place dans notre histoire. C’est exactement ce que je cherchais auprès d’une sage-femme : quelqu’un qui assure un accompagnement tant physique qu’émotionnel. 

Quelques instants plus tard, à midi précise, naît notre fils. Accompagné par la sage-femme, il “nage” sous moi jusqu’à la surface, dans mes bras. Nous y sommes arrivés : notre petit est né en bonne santé dans le bain. La sage-femme dégage le cordon et mon bébé peut reposer sur moi à l’aise, prendre sa première tétée; le temps que le cordon cesse de battre et que nous le coupions. Ces premiers moments vécus dans ce calme, ensemble, sont si précieux. Nous ressentons une gratitude infinie d’avoir pu vivre cette naissance, notre histoire, de cette façon, dans notre petit cocon d’amour.

Une semaine plus tard, je m’entendais dire : “la semaine dernière, à cet instant…”.

La Madrugada