Chaque femme enceinte se voit proposer un test glycémique pour dépister un éventuel diabète de grossesse. Pourtant, le diagnostic n’est pas toujours aussi significatif qu’il n’y paraît et peut entraîner des interventions inutiles pendant l’accouchement.

Par dr. Rachel Reed
Traduction et adaptation, Aline Schoentjes et Lieve Huybrechts, sages-femmes
Picture by Caromama
Avaler une boisson terriblement sucrée puis la prise de sang un peu plus tard: les femmes enceintes et les jeunes mamans se souviennent sans aucun doute très bien de ce test de dépistage du diabète. Et vous aussi, vous l’aurez probablement bu sans vraiment y réfléchir, en pensant que c’était une bonne chose de faite.

Pourtant, peu de femmes se rendent compte que ce genre de dépistage de routine pendant la grossesse peut donner des résultats anormaux, voire “inquiétants”. Comme des glycémies élevées, par exemple, avec en corollaire le diagnostic de “diabète gestationnel”.

Pourtant, ce diagnostic n’est pas aussi transparent qu’on ne le dit, sans compter que la prise en charge qui s’ensuit comprend également des risques. Le “test du sucre” est planifié dans votre agenda pour les prochaines semaines? Voici quelques éléments pour poser un choix éclairé si vous présentez des glycémies élevées pendant votre grossesse.

Glycémie et insuline dans une grossesse “normale”

Birth Matters

Les bébés in utero ont besoin de sucre pour grandir. Et ce besoin augmente au fur et à mesure qu’ils se développent et que la grossesse progresse. En parallèle, les hormones de grossesse induisent à partir de la vingtième semaine une résistance à l’insuline dans les cellules de la mère.

Ces cellules insulino-résistantes transforment moins bien le sucre en énergie, ce qui provoque un pic de glucose dans le sang après le repas. Ce glucose traverse le placenta pour nourrir le bébé. Et en réponse à ce pic, le pancréas maternel augmente la production d’insuline pour ramener les valeurs glycémiques au niveau d’avant le repas.

Bref, le corps de la mère stimule la production d’insuline pour compenser l’insulino-résistance des cellules maternelles. Après la naissance du bébé, le métabolisme insulinique de la mère revient à son état originel.

Diabète gestationnel: un taux de glucose élevé pendant la grossesse

Cependant, toutes les femmes ne parviennent pas à produire l’insuline supplémentaire nécessaire pendant la grossesse. Cette difficulté d’adaptation entraîne une augmentation du taux de sucre dans le sang maternel, vu qu’il ne peut pas être transformé en énergie. C’est ce qu’on appelle le diabète gestationnel. 

On ne connaît pas précisément la cause de cette pathologie, même si on pense que le “stress” causé par la grossesse peut jouer un rôle ou que des problèmes de santé préexistants impactent la production d’insuline.

 

Cet article traite du “diabète gestationnel”, laquelle n’a rien à voir avec le diabète de type 1 ou 2. Nous n’aborderons pas ces affections chroniques ici. Le diabète gestationnel ne survient qu’après la vingtième semaine, au moment où commence l’insulino-résistance. Les organes principaux du bébé sont alors déjà formés et sa croissance se fait donc en taille plutôt qu’en complexité. Des glycémies élevées au premier trimestre révèlent dès lors un diabète déjà existant!

Glycémies élevées: quels risques?

Le diabète gestationnel est lié à un risque accru de problèmes de santé pendant la grossesse (comme la prééclampsie) ou ultérieurement (entre autres des maladies cardiovasculaires et du diabète de type 2). 

Chez les bébés, les glycémies élevées pendant la grossesse impactent surtout le poids et la constitution: ils sont souvent plus lourds, avec plus de gras au niveau des épaules et du haut du corps. En effet, vu l’afflux massif en glucose, le bébé augmente sa production d’insuline pour le transformer en gras. Ce qui donne des bébés plus gros.

Or, avec des épaules rembourrées, le bébé a plus de risque de se coincer à la naissance et de déchirer le périnée de sa maman. Sans compter que l’augmentation de l’insuline ralentit potentiellement la production de surfactant, la substance qui tapisse les poumons du bébé pour pouvoir respirer après la naissance. Ce ralentissement peut alors engendrer des difficultés respiratoires, certainement si le bébé naît plus tôt.

Un risque accru de jaunisse et de diabète de type 2

Certains bébés ont du mal à rééquilibrer leur production d’insuline immédiatement après la naissance. Lorsqu’on coupe le cordon, les glycémies élevées plongent brutalement mais il faut parfois plusieurs heures pour que l’organisme du bébé s’adapte et diminue la production d’insuline. Pendant ce temps d’adaptation, le bébé risque de faire des hypoglycémies, c’est-à-dire que son taux de sucre sanguin descend trop bas.

Les risques de jaunisse augmentent également. En effet, les bébés qui ont dû produire beaucoup d’insuline in utero ont également plus de globules rouges foetales. Après la naissance, celles-ci vont se désintégrer. La bilirubine, cause de la jaunisse, est un sous-produit de cette désintégration.

Enfin, les taux élevés d’insulinémie et de glycémie pendant la grossesse peuvent entraîner à long terme des modifications épigénétiques du métabolisme du bébé. Ces bébés présentent ainsi un risque accru d’obésité et de diabète de type 2 par la suite.

Gunther Lerooy
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Une étiquette mal posée, le diabète gestationnel?

On l’aura compris, des glycémies trop élevées ont des conséquences négatives sur la croissance et le développement du bébé. Pourtant, et là ça devient un peu technique, la définition d’élevée ou trop élevée n’est pas toujours très claire.

Au niveau mondial, le taux des femmes étiquetées “diabète gestationnel” varie de 2 à 26%. Cette grande variation s’explique par la différence de normes utilisées pour définir qui est dépistée, comment et selon quels critères, comme l’explique Rachel Reed, sage-femme et autrice de Midwife Thinking, un blog populaire auprès de sages-femmes.

‘En d’autres termes, selon les pays une femme enceinte sera considérée soit comme “normale” avec une grossesse “normale” soit comme “malade”, “patiente à risques” ou “à médicaliser”.’

Plusieurs tests permettent ainsi de dépister le diabète gestationnel. Dans la plupart des cas, les femmes avalent une solution de glucose entre 24 et 28 semaines, puis ont une prise de sang entre une à trois heures plus tard, en fonction de la dose ingérée.

Pourtant la sensibilité et la spécificité, c’est-à-dire la précision des résultats, diffère d’un test à l’autre. C’est pour cette raison que la Grande-Bretagne ne recommande plus le test dit d’O”Sullivan, qui consiste à boire non à jeûn, l’équivalent de 50 g de glucose puis une prise de sang une heure plus tard, principalement utilisé en Belgique.

Valeurs “normales”

Outre le fait que tous les tests ne sont pas aussi précis, les valeurs considérées comme “normales, “élevées” ou “anormales” pendant la grossesse font également débat.

Il existe un consensus à ce sujet chez les femmes non enceintes. Le taux de glycémie doit se situer entre 72 mg/dl et 106 mg/dl à jeûn et à maximum 140 mg/dl deux heures après le repas. Le diabète standard est diagnostiqué lorsque les valeurs à jeûn sont supérieures à 126 mg/dl ou à 200 mg/dl deux heures après l’absorption de 75 g de glucose.

Mais lorsqu’il s’agit de diabète gestationnel, les paramètres sont beaucoup moins clairs, avec des valeurs différentes en fonction des associations de santé. Ainsi, l’imposante International Association of Diabetes and Pregnancy Study Group (IADPSG) a décidé en 2010, sur la base d’une seule étude, de réduire la valeur diagnostic à 92 mg/dl à jeûn et à 154 mg/dl deux heures après 75 g de glucose.

‘L’étude montrait en effet qu’en appliquant ces valeurs-seuils, on réduisait les risques d’avoir un bébé de plus de 4 kg. Sans que cela ne prouve pour autant une diminution des complications par ailleurs, affirme Rachel Reed.’

L’OMS (l’Organisation Mondiale de la Santé) a adapté ses directives à celles de l’IADPSG, reconnaissant toutefois que les preuves qui la soutendent ne sont pas très solides. A cause de cette nouvelle norme, le nombre de femmes diagnostiquées avec un diabète gestationnel a augmenté considérablement, passant de 5% à 18%.
Ce qui pose problème. Pas seulement en raison de la stigmatisation liée à cette pathologie mais avant tout parce que ce diagnostic limite les femmes dans leur choix par rapport tant au lieu et au type d’accouchement que de qui les accompagne. Cela vaut donc la peine de réfléchir au préalable sur l’utilité de faire ce test et d’en discuter avec votre sage-femme. Il existe en effet d’autres moyens pour vérifier le bon fonctionnement du corps dans ce domaine.

Bien des questions se posent par ailleurs quant à l’efficacité de cette approche. Ainsi, selon l’OMS, le seul résultat probant est de diminuer les risques d’un bébé pesant plus de quatre kilos. L’impact sur la prévention de l’hypertension et de la prééclampsie est moins significatif. Quant à la preuve concernant la dystocie des épaules, elle est même “faible”.

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Déclencher l’accouchement: un autre risque

Ce qui est plus inquiétant, c’est la réaction pavlovienne des soignants qui conseillent la césarienne planifiée ou le déclenchement, par peur d’un gros bébé. Pourtant, la recherche montre que ces interventions n’induisent pas de meilleurs résultats, tout en n’étant pas sans risque.

‘L’OMS déconseille donc de déclencher les femmes lorsque leurs glycémies sont bien sous contrôle.’

En effet, elles ont autant de chance d’avoir un bébé de plus de quatre kilos qu’une femme avec une grossesse “normale”. Mais, avance Reed, cela vaut aussi pour les femmes avec des glycémies anormales, qui sont donc plus à risque de complications, mais pour lesquelles il n’y a pas de preuves suffisantes pour justifier le déclenchement.

La motivation principale des soignants qui poussent les soignants à opter pour le déclenchement est double: le poids du bébé et le risque de dystocie des épaules. Lequel est réel: environ 1% des bébés de moins de quatre kilos restent coincés alors qu’ils sont 5 à 9% pour les bébés de plus de quatre kilos. Et ce chiffre pourrait même être plus haut chez les femmes ayant des glycémies élevées car leur bébé accumule plus de graisse au niveau des épaules et du haut du corps. La recherche révèle néanmoins que les soignants qui s’attendent à un gros bébé interviennent davantage, ce qui augmente les risques de complications (y compris de dystocie, même lorsque le bébé s’avère plus petit a posteriori!)

Pas étonnant bien sûr que les bébés nés avant quarante semaines se coincent moins souvent aux épaules: ils sont plus petits que s’ils étaient nés plus tard. Une revue de la littérature démontrait qu’un déclenchement avant quarante semaines pour suspicion de gros bébé réduisait le taux de dystocie des épaules de 6,8 à 4,1%. Par contre, les déchirures périnéales graves augmentaient considérablement dans le groupe des déclenchements: 2,6% contre 0,7% pour le groupe des femmes entrées spontanément en travail. Et les bébés déclenchés souffraient davantage de jaunisse (11% contre 7%).

En d’autres termes, si les bébés se coincent moins souvent en cas de déclenchement planifié, les femmes risquent davantage de déchirures du périnée et les bébés ont plus souvent la jaunisse.

Ajoutons également que les glycémies élevées peuvent ralentir la cicatrisation (comme en cas de césarienne), tout en augmentant le risque d’infection.

Bref, les femmes qui affichent des glycémies élevées pendant la grossesse doivent mettre dans la balance le risque de dystocie contre les autres risques liés au déclenchement, comme l’écrivaient déjà des chercheurs en 2014.

‘Souvent proposée, cette intervention n’est donc pas indispensable: bien des femmes avec des glycémies anormales peuvent néanmoins avoir un accouchement physiologique “normal”.’

Gunther Lerooy
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Conclusion

Des glycémies élevées pendant la grossesse modifient la croissance et le développement du bébé, augmentant ainsi les risques de certaines complications. Il n’empêche que cette étiquette “diabète gestationnel” doit être pris avec une certaine prudence: d’une part, on utilise comme référence des tests et définitions fort différents et d’autre part, le diagnostic n’induit ni une amélioration des soins ni une diminution des complications chez la mère et l’enfant.

‘Lorsque les glycémies sont sous contrôle pendant la grossesse, il est donc déconseillé de déclencher l’accouchement.’

En revanche, lorsque les glycémies sont élevées, il vaut mieux discuter avec le prestataire de soins des avantages et inconvénients d’un déclenchement. Car s’il permet de mettre au monde des bébés moins gros, moins susceptibles de se coincer aux épaules, le risque d’autres complications augmente.

Réduire les complications : quelques conseils

° Faites de la place dans votre bassin pendant l’accouchement: évitez la position couchée ou appuyée sur l’arrière du bassin.

° Bougez (dans l’eau)! En vous mobilisant, vous offrez au bébé plus de possibilités de trouver son chemin.

° Vous avez une péridurale? Demandez à votre sage-femme/partenaire/doula de mobiliser votre bassin. Avec un drap ou un rebozo, par exemple.

° Insistez pour que votre bébé reste près de vous après la naissance, même s’il doit être soigné ou contrôlé. La séparation peut engendrer une réaction de stress chez le bébé qui risque d’entamer ses réserves en glucose (dont il a besoin pour rééquilibrer son métabolisme). Du peau-à-peau prolongé avec sa maman lui permettent de réguler son rythme cardiaque et sa température.

° Un bon démarrage de l’allaitement aide à stabiliser les glycémies du bébé. Veillez à le mettre souvent au sein.

° Si vous avez des glycémies élevées, exprimez et conservez votre colostrum en fin de grossesse pour pouvoir le donner en supplément au bébé dans les heures suivant la naissance.

° Surveillez les signes de jaunisse pendant la première semaine.

Le contenu de cet article est basé sur ‘Gestational Diabetes: beyond the label’ par Rachel Reed. (https://midwifethinking.com/2018/03/20/gestational-diabetes-beyond-the-label/, Posted on March 20, 2018 by midwifethinking).

Traduction et adaptation, Aline Schoentjes et Lieve Huybrechts, sages-femmes