Témoignage de Sara Derisbourg, gynécologue aux Cliniques Universitaires Erasme, responsable de la Clinique du Siège. Recueilli par Aline Schoentjes.

Aujourd’hui, l’on estime que 3-4% des bébés se présentent en siège au moment de la naissance. De tout temps, des bébés sont nés par les fesses plutôt que la tête la première. Et longtemps, une naissance par voie vaginale était la seule façon de sauver la mère et l’enfant. Pourtant depuis 2001, toute la pratique des accouchements en siège a basculé en faveur de la césarienne programmée, parfois (souvent?) au détriment des femmes, des bébés et des praticien.ne.s. Heureusement aujourd’hui, des médecins et des sages-femmes de par le monde, et en Belgique, s’engagent pour que les femmes et les couples puissent faire un choix éclairé et vivre une expérience à la fois sécure et satisfaisante de leur accouchement.

Le contexte

Le basculement vers l’hypermédicalisation

En 2001 paraissait  l’une de ces grandes études multicentriques et randomisées qui séduisent tant le monde scientifique. Menée par Mary Hannah et ses collègues dans vingt-six pays différents, elle concluait qu’il valait mieux accoucher par césarienne lorsque le bébé se présentait par le siège. L’article a créé une onde de choc dans tout le milieu obstétrical. Pourtant, très vite des voix critiques se sont élevées à l’encontre de ces résultats. L’étude avait certes été bien conçue mais elle ne tenait pas compte de plusieurs éléments importants : la présence ou non d’un médecin expérimenté, des bébés présentant des anomalies congénitales ou des maladies, la santé de la maman, la façon dont le bassin était mesuré, le fait que les mamans ne choisissaient pas le mode d’accouchement.
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Mais l’ampleur de l’étude et sa parution dans un journal médical prestigieux ont bien vite réduit au silence ces critiques pourtant justifiées et le taux de césarienne a augmenté en flèche.

Quelques années plus tard, un groupe d’obstétriciens belges et français, parmi d’autres, publiait une nouvelle étude contradictoire sur près de huit mille naissances. Ils avaient effectué la même étude mais cette fois, les critères de sélection étaient plus stricts tout comme les protocoles pendant la naissance et surtout, les femmes pouvaient choisir si elles optaient pour un accouchement vaginal ou par césarienne – un facteur crucial. Résultat : il n’y avait pas plus de complications sévères dans les deux groupes, et l’accouchement en siège restait un option sécure. Évidemment, malgré ses grandes qualités, cette étude n’a pas eu le même retentissement et en Belgique, comme ailleurs, le taux de césarienne a continué à grimper. Avec pour corollaire que les compétences techniques des obstétricien.ne.s ont commencé à se perdre car les jeunes générations n’étaient plus formées à accompagner ce genre de naissance.

Un vent de renouveau

Depuis plusieurs années, les choses commencent à changer. Ainsi, aux Cliniques Universitaires Erasme, une équipe de gynécologues obstétriciens a ouvert une Clinique du siège. Il s’agit d’un trajet de soin dans lequel on retrouve bien sûr des gynécologues mais aussi des sages-femmes pour accompagner les femmes et les couples à poser un choix éclairé pour leur projet de naissance.

Quand bébé se met en siège

Pourquoi les bébés se mettent-ils fesses vers le bas?

Certains bébés présentent des malformations qui les empêchent de se tourner tête en bas. D’autres naissent prématurément et n’ont pas encore eu le temps de faire leur “cumulet”. Parfois, c’est l’utérus de la maman qui n’a pas une forme optimale. Ou la quantité de liquide amniotique est trop importante ou au contraire, insuffisante. Certains jumeaux ont aussi tendance à préférer garder la tête haute. Enfin, certains évoquent la piste de l’hypothyroïdie, d’autres d’une hyperlaxité mais sans réel lien de cause à effet. En réalité, dans la grande majorité des cas, il n’y a aucune explication particulière.

Bébé en siège? On se détend!

Lorsqu’on constate que le bébé est tête en haut à la troisième échographie (soit vers 32 semaines d’aménorrhée), pas besoin de s’affoler. Trois quarts d’entre eux vont se retourner spontanément avant la naissance. Parfois avec un petit coup de pouce. Une séance d’ostéopathie vers 34 à 36 semaines ne peut pas faire de mal, même si  cela n’a pas été réellement démontré. Par contre, une session d’acupuncture vers 36 à 37 semaines semble porter ses fruits. Bref, on peut attendre patiemment, et avec confiance, jusqu’à l’échographie de contrôle qui aura lieu vers 35 ou 36 semaines.

Si bébé reste fesses en bas?

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Comme l’explique le Dr Derisbourg, bébé peut naître les fesses les premières dans certaines conditions. A la Clinique du Siège, les parents reçoivent toutes les informations sur les avantages et les risques des deux options : accouchement par voie basse ou par césarienne. Dans de nombreux hôpitaux, la césarienne est présentée comme étant d’office la solution la plus sécuritaire mais, comme insiste l’équipe d’Erasme, on oublie trop souvent de parler de l’impact de cette intervention chirurgicale majeure sur une prochaine grossesse, sur la récupération et la mobilité après la naissance ou encore sur l’allaitement. Peu de parents ont conscience de ces facteurs et apprécient donc ces informations éclairantes.
Pour pouvoir prendre la décision en concertation avec l’équipe, les parents entament alors un trajet de soins systématisés constitué de trois étapes. D’abord une échographie de contrôle, ensuite une version, si la maman le souhaite, et enfin une radio-pelvimétrie afin de déterminer si une naissance par voie vaginale est sécure. Chaque étape est clairement expliquée aux parents pour qu’ils puissent se sentir pleinement en confiance et comprendre leurs options. Aux yeux de Sara Derisbourg et de ses collègues, il est extrêmement important que les parents soient parties prenantes dans les décisions afin d’être de vrais partenaires lors de la naissance, peu importe la façon dont se déroulera l’accouchement au bout du compte.

La version, késako?

Cette manœuvre consiste à faire tourner le bébé dans le ventre de sa maman en le manipulant de l’extérieur. Comment cela se passe-t-il? Tout d’abord, il est important que la maman se sente à l’aise avec l’idée de cette manipulation. Si c’est le cas, elle peut aussi faire quelques séances d’autohypnose ou apprendre la cohérence cardiaque pour pouvoir se détendre encore plus pendant la manœuvre. On commence alors par une échographie afin de s’assurer que bébé est en effet toujours fesses en bas, qu’il y a assez de liquide, bref que tous les feux sont au vert au départ côté maman. Puis, on effectue un monitoring du bébé pour s’assurer de son bien-être. On administre ensuite à la maman, le plus souvent par voie intraveineuse, un produit qui va détendre son utérus, appelé tocolytique. Ces produits peuvent parfois provoquer des effets indésirables comme de la tachycardie, des bouffées de chaleur ou des tremblements.
Une fois assurée que maman est détendue et que bébé va bien, l’obstétricienne va procéder à la version, sous contrôle échographique continu en salle d’accouchement. Elle va ainsi pouvoir inviter le bébé à se retourner tout en surveillant qu’il se porte bien. Les sensations peuvent être fortes, inhabituelles et surprenantes pour la maman.
Mais pour le bébé alors? Qu’on se rassure : bébé est au chaud, et les manipulations sont amorties par la bulle protectrice des membranes et du liquide amniotique. S’il est en détresse, son rythme cardiaque s’accélère ou le plus souvent ralentit. C’est d’ailleurs la principale raison qui fait que le médecin interrompt la tentative de version, l’autre étant que les sensations sont trop désagréables ou douloureuses pour la maman. Seule une tentative de version sur mille va entraîner une césarienne d’urgence, soit que le bébé ne l’ait pas supporté, soit qu’il y ait des saignements dus au décollement du placenta.

La réussite de la version va dépendre de plusieurs éléments : l’engagement des fesses du bébé dans le bassin, la position de son dos, le placenta et la quantité de liquide amniotique.

Les contre-indications

La version ne sera pas proposée si le placenta est sur ou trop près du col de l’utérus (placenta praevia), s’il y a d’autres indications de césarienne, dans certains cas de malformations utérines, si le bébé ne grandit pas assez (retard de croissance intra-utérin) ou si le cordon est autour du cou mais ce dernier élément est extrêmement difficile à dépister.

Et après?

Bébé s’est retourné? C’est ce qui se passe dans 50 à 60% des cas. Alors, on fait un dernier monitoring, mais pas de contrôle échographique systématique. Parce qu’il est important de faire confiance aux sensations de la maman. C’est une façon pour elle aussi de mieux se connaître et devenir actrice du processus.

Bébé ne peut pas se retourner?

L’équipe d’Erasme ne propose pas une deuxième version sauf si la maman était fort tendue pour la première tentative et/ou qu’elle est fort demandeuse. Si la maman souhaite poursuivre son projet d’accouchement par voie basse, elle passe en service de radiologie pour une radio de son bassin. Dr. Derisbourg nuance l’utilité de la radio-pelvimétrie, que peu d’études ont réellement démontrée. Mais comme il est important que les professionnel.le.s aussi se sentent en sécurité avec des données rassurantes, cet examen fait partie intégrante du trajet de soins. Lorsque les mesures sont sub-optimales, l’équipe les remet dans un contexte plus large en tenant compte du poids estimé du bébé, de la taille de sa tête, etc. Dr. Sara Derisbourg insiste sur la nécessité d’une vision globale de la situation: l’engagement et la confiance de la maman, les mesures de son bassin, la taille de son bébé. Et de se permettre une tentative tout en restant vigilant. Car la vie reste parfois un mystère.

Se préparer à une naissance en siège par voie basse

A Erasme, 6 mamans sur 10 choisissent d’accoucher par voie basse pour leur bébé en siège. Peut-être plus encore que pour un bébé qui se présente tête en bas, il est important que la maman et le couple soient bien informés et préparés pour cette naissance un peu particulière. C’est ici qu’interviennent les sages-femmes de la Clinique du siège. Elles montrent aux couples comment le bébé va sortir, les positions que les mamans peuvent prendre pour favoriser l’ouverture du col et la descente du bébé. Elles rassurent, apaisent et encouragent les futurs parents dans leur choix.

Sara Derisbourg évoque aussi l’entourage. Le soutien apporté au couple par la famille et les amis joue aussi un rôle important dans la confiance et l’engagement des parents. Elle insiste dès lors pour que le couple et la mère s’entourent de personnes bienveillantes et soutenantes.

Quand le travail commence

Un des éléments importants est le mode du siège.
On distingue trois types de bébés en siège:
– complet,
– mode des pieds et
– décomplété.
C’est ce dernier avec lequel les professionnel.le.s sont le plus à l’aise car les fesses vont bien solliciter le col de l’utérus.

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Le siège complet peut se faire lorsque là aussi, les fesses du bébé appuient bien sur le col et favorisent la dilatation. Le mode des pieds est moins fréquent à terme et pourrait indiquer  plus souvent une césarienne.

Les couples qui le choisissent peuvent sans souci faire un début de travail à domicile lorsque leur bébé est en siège. Il est cependant indispensable que le rythme cardiaque du bébé soit contrôlé à intervalles réguliers par une sage-femme. C’est en effet ce facteur qui va orienter tout le suivi de l’accouchement, c’est le meilleur indicateur de la nécessité d’intervenir.

Pendant le travail, on ne va pas non plus faire trop de touchers vaginaux pour ne pas stimuler inutilement le bébé.

Pour ce qui est des positions de travail, les mamans sont encouragées à rester le plus mobile possible et c’est pour cela, entre autres, que la péridurale n’est pas imposée. Dr Derisbourg explique cette décision peu commune : rien ne justifie une péridurale d’emblée car même s’il y a un peu plus de risques de procidence du cordon, les risques d’extrême urgence ne sont pas extrêmement plus nombreux que dans un accouchement par voie basse normal. Et comme les critères de transfert en césarienne sont un peu plus sévères, il y a le temps de poser calmement une péridurale en salle d’opération au besoin dans la majorité des cas. Là encore, une information éclairée est donnée au couple.

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A Erasme, l’équipe de la Clinique du siège encourage fortement la maman à changer de position pendant la poussée, à se mettre régulièrement à quatre pattes, semi assise ou penchée vers l’avant pour utiliser la force naturelle de la gravité et aider le bébé à descendre en douceur. Des positions qu’elle a pu explorer avant l’accouchement avec l’aide des sages-femmes lors des séances de préparation à la naissance.
Comme il s’agit d’une naissance qui nécessite une vigilance accrue, l’équipe qui entoure le couple est un peu plus nombreuse: deux gynécologues, un pédiatre, une sage-femme. Dr Derisbourg insiste sur le fait que cela n’empêche pas du tout la maman de se mettre dans sa bulle, bien au contraire, elle se rend souvent à peine compte du monde qui l’entoure. C’est aussi le moment où la motivation, la force et l’énergie de la maman ont toutes leurs importances.

Épisiotomie ou pas?

Là aussi, l’équipe de la Clinique du siège se démarque en ne pratiquant pas systématiquement d’épisiotomie pour les naissances en siège.

Plus ou moins douloureux?

Les mamans qui ont vécu les deux modes d’accouchement vaginal, siège et sommet, rapportent souvent que la naissance en siège était plus confortable, sauf quand le bébé était en tailleur.

Quand passer à la césarienne

A l’arrivée à l’hôpital, l’obstétricien.ne contrôle la flexion de la tête du bébé à l’aide d’une échographie. S’il a bien le menton sur la poitrine, c’est un feu vert. Si ce n’est pas le cas, c’est une contre-indication absolue à une naissance par voie basse

Le rythme cardiaque du bébé, c’est-à-dire le témoin de sa santé, est un autre facteur essentiel qui va pousser l’équipe à passer en césarienne. Si le bébé donne des signes de faiblesse, il est inutile de le pousser dans ses réserves pour accoucher à tout prix par voie basse. L’essentiel reste que maman et bébé restent en bonne santé au bout d’une naissance respectueuse.

Le manque de fluidité dans la dilatation, qu’on appelle dyscinésie, est un autre facteur qui fait prendre la décision d’une césarienne. On peut certes intervenir un tout petit peu, par exemple si le bébé est bien fixé dans le bassin en ouvrant la poche des eaux ou en administration de l’ocytocine de synthèse. Ainsi, avant 6 ou 7 cm de dilatation, Dre Derisbourg confirme qu’on peut se donner du temps mais qu’au-delà, on sera plus “sévère” pour la simple et bonne raison que la maman et le bébé doivent conserver toute son énergie pour la poussée et ne pas s’épuiser dans un travail trop long.

La césarienne sera aussi au programme si la poussée “active” dépasse une heure, certainement pour un premier bébé. Tout en laissant un petit quart d’heure à la maman pour trouver le chemin de la poussée et comment guider son bébé vers l’extérieur.

L’équipe d’Erasme n’utilise jamais de ventouse, deux techniques peu recommandées pour les naissances en siège.

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Et les bébés là-dedans?

Les bébés ne semblent pas vivre cette naissance “à l’envers” de façon plus difficile. Quand un bébé naît par le siège, il expulsera quasiment toujours du méconium, ces premières selles noires et collantes, du fait de la compression de son ventre. Son score d’Apgar à une et cinq minutes tout comme son pH auront tendance à être un peu plus faibles, ce qui est tout à fait attendu entre autres car le cordon ombilical est sollicité plus longtemps que lors d’une naissance en sommet. La plupart des bébés ont tout à fait récupéré à dix minutes de vie. Il y a un peu plus de risque également que le bébé soit surveillé quelques heures au centre néonatal.

Il est tout aussi normal que bébé reste jambes en l’air pendant quelques heures lorsqu’il est né en mode décomplété ou qu’une de ses jambes ou pieds soient gonflée et/ou bleue pour le mode complet ou des pieds.

Néanmoins, à long terme les études ne retrouvent pas de différence de développement que ce soit pour la naissance de siège par voie basse ou par césarienne.

En chiffres

Concrètement, parmi toutes les mamans dont le bébé se présente par le siège, 40% vont opter pour la césarienne et 60% vont planifier une naissance. Au bout du compte, 80% d’entre elles accouchent effectivement par voie basse. Une belle performance!

Des équipes pluridisciplinaires et “intergénérationnelles”

Historiquement, les sages-femmes étaient, elles aussi, habilitées à assurer la sécurité de ces naissances, comme en témoigne le manuel d’obstétrique de Justine Siegemund, une sage-femme allemande du XVIIe siècle. Aujourd’hui néanmoins, la loi belge confie la responsabilité d’un accouchement par le siège aux seuls gynécologues obstétriciens.

Dr Derisbourg insiste sur l’importance de la formation des obstétricien.ne.s et de la transmission des savoirs et compétences. Il est donc très sage d’offrir une information complète aux mamans et aux couples dont le bébé est en siège et de les référer d’office vers des centres expérimentés si elles choisissent un accouchement par voie basse. C’est l’expérience des référents médicaux qui pèse véritablement dans la balance. Pour cette raison, la Clinique d’Erasme a d’ailleurs organisé une garde spéciale “siège”, qui permet qu’il y ait toujours deux gynécologues présents lors de ces naissances, en plus d’un pédiatre. L’expérience et le savoir se transmettent ainsi des plus ancien.ne.s aux plus jeunes.

Conclusion

On ne peut que se réjouir de voir des professionnel.le.s de la naissance s’engager avec les parents dans un partenariat respectueux et stimulant. Cette approche permet d’une part aux les praticien.ne.s de (re)découvrir des compétences et d’autre part, aux couples d’apprendre leur “métier” de parents, adultes, responsables et autonomes. Bref, il est aujourd’hui possible de créer un cadre où toutes les parties s’enrichissent mutuellement et grandissent en intelligence.