Dans notre culture obstétricale, il est normal que les femmes soient soumises à des touchers vaginaux de routine pendant l’accouchement afin d’en évaluer la progression. Le présent article est inspiré d’une analyse de la littérature scientifique à ce sujet proposée par Rachel Reed, sage-femme britannique.
Traducion et adaptation par Aline Schoentjes et Lieve Huybrechts, sages-femmes
Un peu d’histoire : pourquoi le col de l’utérus est-il aussi important ?
Comment en sommes-nous arrivé.e.s à nous fixer à ce point sur l’activité de cette petite partie du corps pendant ce processus complexe et multidimensionnel qu’est la naissance? Dahlen et al. (2013) évoquent l’histoire du toucher vaginal dans leur article. Par le passé, les praticien.ne.s n’y recouraient que lorsque la naissance ne semblait pas se dérouler de façon normale, dans le cas d’un travail qui n’en finissait pas ou d’un bébé dans une position inhabituelle, par exemple. Cet examen permettait d’évaluer la complication pour pouvoir agir ensuite de façon adéquate. Les manuels destinés aux sages-femmes mettaient d’ailleurs en garde contre les touchers vaginaux inutiles. Ainsi, Madame du Coudray [1563-1636], la grande sage-femme française, estimait qu’il était mauvais de trop aller fouiller dans le vagin, le mieux étant d’attendre patiemment en étant attentive aux signes extérieurs (citée dans Dahlen et al. (2013)).
La médecine s’est développée par la suite autour de la croyance que le corps était une machine composée de différentes pièces, susceptibles d’être étudiées et comprises séparément. La femme en travail fut dès lors “divisée” en parties physiques: l’utérus, le col de l’utérus, le bébé. Quant au travail, il devait se dérouler de façon linéaire (McCourt 2010). Ces croyances sont toujours perceptibles dans les manuels modernes. La femme y disparaît au profit de diagrammes qui reproduisent ses “parties” (et le crâne du foetus) avec des mesures précises. Cette conception simpliste et incorrecte a servi de base à la formation comme aux pratiques obstétricales. Dans les années septante, on a introduit ensuite le partogramme, fondé sur cette approche limitative et linéaire, dans les soins obstétricaux médicalisés. Son objectif était, et est toujours, de contrôler et de mesurer la progression de l’accouchement en reportant l’ouverture du col sur un graphique, en même temps que l’engagement de la tête de bébé dans le bassin. Lorsque la dilatation ne se fait pas au rythme prescrit d’un centimètre par heure, on accélère l’accouchement en rompant la poche des eaux ou en administrant de l’ocytocine de synthèse.
‘La femme y disparaît au profit de diagrammes qui reproduisent ses “parties” (et le crâne du foetus) avec des mesures précises.
Cette conception simpliste et incorrecte a servi de base à la formation comme aux pratiques obstétricales.‘

Partogram
Qu’en est-il aujourd’hui?
Une Cochrane Review (2017) sur l’utilisation du partogramme pour un travail normal concluait d’ailleurs que l’utilisation systématique du partogramme, en tant qu’outil de gestion et de soins standards pendant la naissance, ne donnait pas de résultats sûrs, qu’il fallait d’autres preuves pour démontrer l’utilité de cet outil.
Une autre grande étude, d’Oladapo et al (2018), remettait d’ailleurs en cause la précision du partogramme, concluant que la variabilité des schémas d’accouchement ne peut pas se traduire en courbes moyennes. Les données du partogramme ne nous permettent donc pas de prendre de décisions quant à la gestion du travail.
Quel est le rapport entre partogramme et toucher vaginal?
L’un ne va pas sans l’autre car pour compléter le partogramme, il faut effectuer des touchers vaginaux réguliers. Il n’est toutefois pas avéré que pratiqué en routine pendant l’accouchement, cet examen améliore les résultats pour la maman ou son bébé. Une Cochrane Review de 2013 concluait ainsi: nous n’avons pas trouvé de preuves convaincantes pour encourager ou décourager l’examen vaginal en routine (Downe et al. 2013). Dans une autre étude (Ferrazzi et al. 2015), les chercheurs affirmait en conclusion que la dilatation du col pendant un accouchement physiologique n’était pas linéaire et au contraire, imprévisible.


Il n’est pourtant pas aussi simple de changer un protocole hospitalier dans ce domaine: l’utilisation du partogramme et les touchers vaginaux font tellement partie intégrante des soins standards. En d’autres termes, il faut de solides preuves pour pouvoir faire disparaître une intervention pourtant introduite sans bonnes raisons. Or, les chances sont bien faibles d’obtenir de ces preuves considérées comme solides (c’est-à-dire des études contrôlées et randomisées) et ce, pour des raisons d’éthique de recherche et de culture de soins de maternité.
Les directives de soins pendant l’accouchement continuent néanmoins à recommander un toucher vaginal par heure, se renvoyant la balle sans réelle recherche pour soutenir leurs recommandations (NICE, Queensland Health). Ainsi, si les directives du Queensland Health soutiennent ces recommandations, leur brochure d’information destinée aux parents mentionne par contre que “si le toucher vaginal peut indiquer la progression déjà réalisée dans l’accouchement, il ne peut pas prédire la durée jusqu’à la naissance.” Et d’ajouter “il y a d’autres facteurs tels que la puissance, la durée et la fréquence des contractions, de même que le comportement et le bien-être de la femme qui peuvent indiquer l’évolution de l’accouchement.”
Pourquoi dès lors effectuer un toucher vaginal?
On appelle les femmes “à avoir confiance en elles-mêmes”, “à écouter leur corps” mais pourtant les sages-femmes et les médecins se contentent de définir le travail de la naissance en centimètre: “elle n’est pas encore en travail, elle n’est qu’à deux centimètres” ou au contraire “oups, elle va accoucher, elle est à dilatation complète”.
Or, on le sait: examiner un col nous induit régulièrement en erreur et nos prédictions s’écroulent. Sans compter que les femmes ne se sentent du coup pas entendues et ne bénéficient pas de l’accompagnement dont elles ont besoin. Elles-mêmes se fient souvent davantage à cet examen plutôt qu’à leurs propres sensations (Machin & Scamell 1997). Elles veulent savoir si l’accouchement progresse, avec cette croyance profondément ancrée dans l’inconscient que le col de l’utérus peut apporter une réponse.
Touchers vaginaux: pas toujours anodins
Avant de donner leur consentement pour un toucher vaginal, les femmes doivent savoir qu’il n’y a pas de preuves solides pour cet examen, qui peut avoir aussi des effets délétères.

D’autres façons de savoir
Il faut le reconnaître: le corps des femmes est complexe, unique et non mesurable. La naissance est une expérience multidimensionnelle qui ne peut pas être définie par quelqu’un d’autre. Nous qui accouchons et/ou qui accompagnons les naissances le savons bien. Cela fait longtemps que les sages-femmes évaluent la progression du travail par d’autres méthodes, moins invasives. Dans son doctorat, Rachel Reed analysait le comportement des femmes au travers de leur récit de naissance. En étant aux côtés de la femme, en écoutant, en observant, en utilisant nos cinq sens, nous en apprenons en effet beaucoup sur cette femme-là.
D’autres études ont abouti aux mêmes conclusions. Ainsi, Dixon et al. (2014) ont mis en parallèle le voyage émotionnel de la naissance avec les résultats d’études plus anciennes, en les intégrant au processus physiologique. Ou encore Duff (2005), qui a étudié le comportement des femmes pendant l’accouchement pour proposer un “partogramme” alternatif sur la base de ses observations. On observe d’autres changements physiques chez la femme qui nous informent de la progression du travail (par ex. le losange de Michaelis ou la ligne pourpre).
Cet article n’a pas pour objet d’approfondir ces comportements mais simplement de souligner que le col de l’utérus n’est pas le seul indicateur de l’évolution de l’accouchement. Bien sûr, chaque femme se comporte différemment et n’entre pas toujours dans les schémas attendus. Et certes, ces signaux peuvent nous induire en erreur. Mais au même titre que le toucher vaginal, qui est tout aussi trompeur et imprécis.
Conseils d’une “sage” ancienne
° En cours de grossesse, informons honnêtement les femmes au sujet des touchers vaginaux,de leurs limites et des éventuelles conséquences. Présentez-leur les alternatives. Invitez-les à découvrir les protocoles à ce sujet dans leur lieu de naissance choisi et informez-les de leur droit à questionner et refuser certaines interventions.